Le brouhaha étouffé du couloir lui parvient aux oreilles. Daehyun ferme délicatement ses paupières maquillées et demeure immobile. Son palpitant bat un peu plus rapidement que la normale sous l'anticipation de la soirée à venir: << Ah, laissons tomber. Ce parfum fera l'affaire.>> S'est exclamé Monsieur Song, un agacement palpable dans le ton de sa voix. Leur départ précipité avait engrangé le fâcheux oubli de la toute dernière bouteille de Chanel qu'il avait acheté à son fils pour l'occasion; autant dire qu'aussi minime l'incident paraît-il, l'homme semble sincèrement irrité. Le cadet crispe légèrement la mâchoire et ouvre enfin de nouveau ses jolis yeux mordorés une fois que son paternel eut fini de l'asperger de son eau de Cologne de ça et là. A peine ses narines perçoivent-elles les effluves de ce parfum que Daehyun a un haut-le-coeur. Il déteste le parfum de son père. Non, plus encore, il déteste sentir le parfum de son père se coller à sa peau: << Laisse moi te regarder une dernière fois.>> Indique simplement Monsieur Song Joignant le geste à la parole, il saisit le petit brun par le poignet et lui fait faire un tour sur lui même afin de l'observer sous toutes les coutures. Costard taillé sur mesure, bijoux de haute-coutures, maquillage léger, chaque mèche de cheveux à sa place, l'homme s'extasie devant la beauté de sa progéniture. Un rictus satisfait traverse les lèvre de Monsieur Song. Il vient saisir délicatement le visage de Daehyun entre ses mains viriles puis il approche le sien avec précaution. Ses yeux sombres luisent, à la recherche active du moindre petit défaut, de la moindre petite fausse note, susceptible d'entacher le tableau qu'il s'est tué à dresser. Malgré que le faciès de son père soit beaucoup trop près du sien pour que la situation soit confortable, le jeune homme plonge ses iris à la couleur miel dans ceux de Monsieur Song sans détourner le regard une seule seconde. Il reste ainsi, droit et ne cillant pas, ses yeux concentrés sur un point invisible quelque part sur le visage familier du plus vieux: <<Bien.>> Déclare finalement le businessman. Il se recule et remonte légèrement la manche de sa jacket Gucci afin de regarder l'heure sur sa nouvelle Rolex. Il leur reste encore quelques minutes avant de rejoindre les autres dans la salle de Bal. Au terme d'une dizaine de secondes de silence -bien trop pesant au goût de l'étudiant- le paternel s'exprime de nouveau: << Tu portes bien ce que je t'ai demandé d'enfiler sous ton costard?, il attend que son fils hoche fébrilement la tête pour ensuite reprendre, Bien. Maintenant tu vas m'écouter attentivement. Les personnes qui se trouveront à cette soirée sont très importants. Ils misent à la bourse avec succès et possèdent de grosses entreprises, aussi grosses que celle dans laquelle papa travaille. Par conséquent, ils sont tous de potentiels investisseurs qui pourraient faire décoller mes affaires. Je veux que toi et moi, on leur fasse une bonne impression. >> Alors qu'il se laisse aller à un monologue monotone, les doigts de Monsieur Song parcourent tendrement la joue droite de Daehyun jusqu'à glisser vers une mèche rebelle qu'il range convenablement derrière l'oreille de son fils. Le cadet déglutit péniblement. Son regard n'a pas dévié, son corps n'a pas esquissé un seul mouvement. A la manière d'un animal devant les phares d'une voiture au milieu d'une route de campagne esseulée, le petit brun est pétrifiée de l'intérieur. La baie vitrée est assez haute, pour sûr qu'il se tuerait si il sautait. Ou alors il pourrait courir et s'enfuir très loin, papa n'a pas une aussi bonne endurance que lui. Pourtant, cela fait bien longtemps qu'il ne considère même plus ses options. Les années ont passé et avec elles, l'envie de se battre. Daehyun sait que la meilleure chose à faire est d'obéir pour en finir au plus vite: << Je t'ai dressé une liste et je l'ai rangé dans la poche arrière de ton pantalon. Dessus, tu as les noms des personnes avec qui tu vas devoir être un bon garçon. Je veux que tu te montres d'une compagnie d'exception et que tu les séduises. Si certains d'entre eux se montrent un peu trop impatient, tu peux leur proposer une rapide gâterie dans les toilettes mais tu ne les finis pas. Tu t'arranges pour leur donner un avant goût de ce qui les attend si ils acceptent de négocier avec papa. Tout est clair?, finit-il par dire.

_ Oui papa. >> Ce sont les deux seuls mots qui franchissent les lèvres du jeune homme avant que ces dernières se scellent de nouveau. Monsieur Song humecte ses lèvres d'un bout de langue rose puis, il reprend ses directives: << Une fois que le bal se terminera, tu remonteras dans notre chambre et tu te rafraîchiras rapidement. Une fois que cela sera fait, tu regarderas ta liste: à côté de chaque nom écrit dessus tu as un numéro. Il s'agit de celui correspondant à la chambre d'hôtel de chacun. Tu commanderas du champagne à chacun puis, tu les feras une par une pour faire passer du bon temps à son occupant. >> Son ton est aussi chaleureux que si il parlait à un enfant néanmoins, la fermeté sous-jacente qui transpire de chacun de ses mots trahit les véritables sentiments qui l'animent. Ou plutôt, manque de sentiments serait un terme plus exact dans son cas: << Une fois que tu t'es occupé de toutes ces personnes tu pourras revenir dans notre chambre d'hôtel. Demain matin, je veux les voir satisfaits et souriants comme une bande d'abrutis. >> La mâchoire de Daehyun se crispent à mesure que son père s'exprime. Deux fossettes se dessinent au creux de chacune de ses joues déjà maigres. Le jeune homme daigne enfin à sortir de son état catatonique. Il contourne son géniteur, sans lui accorder la moindre considération ni le moindre mot, et se dirige vers la porte. A peine l'ouvre t-il qu'une main ferme se resserre autour de son poignet. Daehyun se retourne, vaguement surpris. Monsieur Song s'approche de lui et, après lui avoir offert un rictus indéchiffrable, il se penche au dessus de son fils et presse un baiser appuyé contre le front de ce dernier: << Je suis fier de toi, j'espère que tu le sais. Tu es magnifique ce soir. >> A nouveau, c'est un simple et court 'Merci' qui répond aux longues phrases clinquantes du quarantenaire. Les mots finissent par disparaître alors que l'heure de rejoindre les autres invités s'approche. Alors que la plupart sont déjà agglutinés dans une grande salle au luxe écoeurant, flûte de champagnes ou verre de Martini à la main, Monsieur Song et son fils descendent les somptueuses marches en marbre parés de leur plus beau sourire. Quelle merveilleuse complicité partagent-ils, se disent quelques personnes.